La Sélection du Lab #15 – Retour sur la conférence Our Ocean à Washington

Par mars 12, 2017Sélection

Cette semaine, nous vous proposons dans la Sélection du Lab un retour sur la conférence « Our Ocean » qui s’est tenue les 15 et 16 septembre dernier à Washington à laquelle Vertigo Lab a pu assister.

Les 15 et 16 septembre était organisée à Washington la troisième conférence internationale « Our Ocean ». Cet événement lancé par John Kerry en 2014 a pour objectif de promouvoir les zones de protection marines et d’organiser la lutte contre les pratiques de pêche illégales. Ainsi, durant deux jours, des représentants de près de 60 Etats mais aussi des représentants de régions, d’associations et d’ONG, se sont succédés pour présenter leurs initiatives et leurs engagements pour la préservation des océans. Que retenir de ces déclarations ? Quelles sont les avancées imputables à la conférence ?

De puissants effets d’annonce et des milliards de dollars mobilisés.

Avant même le lancement de cette conférence internationale, Barack Obama a ouvert la marche en annonçant fin août l’extension de ce qui devient la plus grande aire marine protégée au monde, Papahānaumokuākea, au large d’Hawaii. Créée en 2006 par George Bush, ce « Monument national marin », selon la terminologie américaine, sera élargie de 4 fois sa superficie passant d’environ 360 000 à 1,5 millions de km². Faisant suite à cette annonce, la conférence « Our Ocean » a été rythmée par les discours de représentants politiques invités, les interventions de personnalités engagées pour la préservation des océans et des annonces similaires à celle du Président Obama, accompagnées d’engagements financiers.

Près de 140 initiatives et projets d’action ont ainsi été présentés lors de ce sommet visant la mise sous protection de l’espace maritime, la réduction des pollutions marines, l’adaptation au changement climatique, l’éducation et la formation ou encore le soutien aux communautés côtières. La création de nouvelles aires marines a par exemple été annoncée par la Corée du Sud, la Thaïlande, le Maroc, la Norvège, le Liban, la République du Congo ou encore le Cambodge. Sur le plan des pollutions marines, la Fondation Ellen MacArthur et le GEF [1] ont lancé la création d’un nouveau programme de recherche pour remplacer le plastique par des matériaux durables tandis que le PNUD [2] a annoncé l’attribution d’une aide de deux millions de dollars à l’ONG Trash Free Seas Alliance [3].

La lutte contre la pêche illégale était également l’un des grands sujets de la conférence. Le Secrétariat d’Etat américain encourage depuis 2014, à travers « Our Ocean », la signature du « Port State Measures to Prevent, Deter, and Eliminate Illegal, Unreported and Unregulated Fishing », accord international établi par la FAO en 2009. De 10 pays signataires en 2014, l’accord est passé à 30 en juin dernier ce qui aura accéléré son entrée en application. Dans le cadre de la conférence, plusieurs pays[4] membres de l’OMC ont également annoncé travailler au lancement de négociations au sein de l’OMC sur un traité international pour interdire les subventions liées à la pêche illégale ainsi que celles contribuant à la surpêche et à la surcapacité de pêche. Le « Safe Ocean Network », réseau de pays souhaitant collaborer contre la pêche illégale et non déclarée, créé lors de la deuxième édition de « Our Ocean », a de plus vu son nombre de pays participants augmenter.

Au niveau français, Ségolène Royal, Ministre de la mer mais également Présidente de la COP21, a exposé lors de la conférence les actions déjà mises en œuvre telles que le dépassement de l’objectif de protection de 20% des eaux territoriales de la France et la création de nouveaux parcs marins.

Au total, les engagements financiers des acteurs ayant participé à la conférence s’élèvent à 5,24 milliards de dollars. La carte interactive ci-dessous affiche l’ensemble des initiatives présentées à Washington :

Carte des initiatives recensées lors de la conférence

Des indicateurs de bonne santé des océans dans le rouge

Ces engagements financiers, ainsi que les deux jours d’effervescence autour de la conférence, durant lesquels un grand nombre de side events internationaux et d’ateliers ont été organisés en parallèle dans la ville [5], montrent que la vision exclusivement extractive porté par l’Homme sur la mer et les océans est aujourd’hui dépassée. Si la détermination et la volonté affichée de nombreux pays de protéger les océans constituent un bon signal, les constats dressés par les scientifiques n’en restent pas moins alarmants et appellent à rester réalistes quant à l’efficacité d’une telle conférence. Une illustration avec la présentation faite le vendredi 16 septembre par le Dr. Kathryn D. Sullivan, sous-secrétaire au commerce en charge de l’océan et de l’atmosphère, du Coral Reef Watch. Cet outil mis au point par le NOOA permet de suivre par satellite la bonne santé des coraux et notamment leur blanchissement. Il aura révélé que le phénomène actuel de blanchissement des coraux est le plus long jamais enregistré et identifié des zones non concernées auparavant par le phénomène aujourd’hui touchées (par exemple la partie nord de la Grande Barrière de corail).

L’afflux de financements, notamment en faveur d’initiatives de lutte contre la pêche illégale et pour la création d’aires marines protégées, s’il constitue bien sûr une excellente nouvelle, ne permet pas de répondre à tous les enjeux de gestion et de protection des océans. Ces derniers sont directement dépendants de nos modes de vie et choix de terriens ; la réduction des GES est ainsi un enjeu essentiel. De plus, si des financements ont été alloués à la création d’aires marines protégés (AMP), rien n’est dit sur l’adéquation entre ces financements et les objectifs que souhaitent atteindre les AMP. Il ne suffit pas de créer une aire marine pour que la protection de ses écosystèmes et espèces devienne effective : la gestion d’une aire marine a également un coût qu’il est nécessaire de prendre en compte. Il faut donner les moyens aux gestionnaires de réguler, ou d’interdire selon les contextes, les usages et activités humaines dans les AMP afin que la protection ne se résume pas à un périmètre symbolique (a « paper park »). L’étude réalisée en 2015 par Vertigo Lab pour MedPAN, réseau des gestionnaires des aires marines protégées de Méditerranée, a ainsi pu mettre en évidence l’écart entre les objectifs de gestion et les ressources disponibles pour la gestion des AMP et donc leur important besoin en financement dans la durée, et non pas seulement au moment de leur création [6].

Des innovations du côté des exposants : la sensation Global Fishing Watch

Si les déclarations des représentants étatiques ainsi que leurs engagements pouvaient sembler très politiques et peu concrets – un engagement de plusieurs millions de dollars reste un engagement et non une obligation -, l’espace d’exposition de la conférence permettait de découvrir des innovations intéressantes. Celle qui a généré le plus d’enthousiasme est sans conteste le Global Fishing Watch. Cet outil développé par Oceana, SkyTruth et Google permet de surveiller la flotte de pêche mondiale dans l’espace et dans le temps et de mesurer dans le même temps l’activité de pêche. Les utilisateurs (gouvernements, gestionnaires d’AMP, acteurs agroalimentaires, chercheurs, etc.) peuvent donc gratuitement suivre la pêche mondiale, presqu’en temps réel. Cette innovation peut donc constituer une réelle avancée dans la lutte contre la pêche illégale même s’il reste pour le moment impossible de détecter les navires fantômes.

Le développement d’innovations similaires est par ailleurs un axe d’action important pour le Secrétariat d’Etat américain. Le Fishackathon, événement organisé par le Secrétariat en avril dernier et ayant fait l’objet d’un précédent article [7], visait par exemple à rassembler des acteurs du monde de la pêche mais aussi des spécialistes du codage et des scientifiques avec comme objectif principal de produire des applications permettant d’accompagner les pêcheurs vers des pratiques plus durables. Ce Fishackathon a donné lieu à de nombreux projets prometteurs en phase de développement. Cette approche pourrait être développée sur d’autres thématiques liées au monde marin ; Vertigo Lab y travaille à l’échelle de la façade Atlantique.

Ce type d’avancée technologique, couplée à l’action citoyenne et à des engagements étatiques forts comme ceux que l’on a pu observer pendant « Our Ocean », mais également lors de la COP21, nous donnent quelques raisons de rester optimistes quant aux efforts engager pour la préservation des écosystèmes marins mais aussi terrestres. Il faudrait cependant prendre garde à ne pas faire des politiques environnementales un champ à part, en mobilisant chaque année les Etats dans ce type de conférence très médiatique et symbolique, mais plutôt à prendre en considération l’environnement dans tous les domaines d’activités humaines.

[1] Global Environment Facility : Fonds pour l’environnement mondial

[2] Programme des Nations Unies pour le développement

[3] ONG américaine luttant contre la pollution marine : http://www.oceanconservancy.org/who-we-are/

[4] Etats-Unis, Argentine, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Norvège, Papouasie Nouvelle Guinée, Pérou, Suisse et Uruguay.

[5] Une conférence rassemblant des étudiants et jeunes leaders de la protection de l’océan était par exemple organisée à Washington tandis que l’Ambassade de France proposait une conférence sur la préservation de l’océan et la coopération scientifique dans le cadre de l’initiative Fact-O (French American Climate Talks on Ocean).

[6] Voir l’étude sur le Financement durable des Aires Marines Protégées en Méditerranée réalisée par Vertigo Lab

[7] Voir notre Sélection du Lab sur le jeu issu de ce Fishhackathon, « Tap a Boat »