Mesurer l’impact de la finance verte : où en est-on ?

Par mars 7, 2018Idées

Un des principaux enjeux du XXIème siècle est d’atteindre un développement économique qui soit conciliable tant du point de vue social qu’environnemental. Cela nécessite une transformation très rapide de nos processus de production afin de limiter le réchauffement climatique à + 2°C tout en maintenant, voire en améliorant, l’état du capital naturel. Dans ce cadre, l’Union Européenne a pris des engagements forts afin d’atteindre des objectifs environnementaux ambitieux. En matière de changement climatique par exemple, l’Union Européenne a pour objectif de réduire de 40 % ses émissions à l’échelle de 2030 par rapport au niveau de 1990. L’atteinte de ces objectifs environnementaux nécessite la réalisation de plusieurs projets appelés « projets verts » qui contribueront à changer rapidement nos processus de production. Le montant prévu des investissements de ces projets verts est estimé à 180 milliards d’€ à l’échelle de l’Union Européenne. Cela pose la question du financement de ces projets à travers la création d’un marché spécifique permettant de capter les fonds pour ces projets verts. C’est tout l’objectif de la finance verte. Ce problème de financement des projets verts n’est pas spécifique à l’Europe, mais commun à l’ensemble des pays à l’échelle mondiale.

Des instruments financiers ont déjà été mis en œuvre pour financer ces projets verts. La création des obligations vertes en est un parfait exemple. Toutefois, le développement d’une finance verte pose la question de la délimitation de la frontière entre ce qui est « vert » et ce qui n’est pas « vert ». L’absence d’une frontière claire pose le risque de voir certains projets se financer sur le marché financier vert pour profiter des conditions plus avantageuses que sur le marché classique bien que leurs retombées environnementales soient fortement contestables (risque connu sous le terme de « green washing »). Ce comportement opportuniste peut mettre à mal tout effort visant à créer un marché financier spécifique pour les projets verts (Berger, 2017). La pérennité d’une finance verte passe par la réalisation d’une évaluation environnementale, publiée dans des reportings environnementaux, afin d’apprécier le caractère « vert » des projets. La méthodologie d’évaluation environnementale doit alors être rigoureuse pour ne pas remettre en question le côté vert des projets (Rivière-Giordano, 2012). Dans ce contexte, des initiatives mondiales ont vu le jour pour intégrer davantage les impacts environnementaux liés à l’investissement dans des actifs ou dans des portefeuilles d’actifs. C’est notamment le cas des investissements d’impacts (ou « impact investing »).

Sur la base d’une revue des initiatives, cet article réalise un succinct état des lieux des méthodes d’évaluation environnementale des projets verts et pose la question des conditions du développement d’une finance verte.

L’article présente d’abord l’état des lieux du financement des projets et des activités à travers les obligations vertes. Il recense ensuite les principaux enjeux autour de la création d’une finance verte telle qu’exposée par le groupe d’experts de haut niveau sur la finance durable (HLEG) de la Commission Européenne, et il expose enfin l’initiative des investissements d’impacts.

Le marché des obligations vertes

Définition et limites du reporting environnemental

Le Ministère de l’Ecologie et de la Transition Ecologique définit les obligations vertes comme suit :

« Une obligation verte est un emprunt émis sur le marché par une entreprise ou une entité publique auprès d’investisseurs pour lui permettre de financer ses projets contribuant à la transition écologique (énergies renouvelables, efficacité énergétique, gestion durable des déchets et de l’eau, exploitation durable des terres, transport propre et adaptation aux changements climatiques…), plus particulièrement les investissements en infrastructures. Elle se distingue d’une obligation classique par un reporting détaillé sur les investissements qu’elles financent et le caractère vert des projets financés. »

Si le caractère soutenable est bien défini dans les principes des obligations vertes, aucun standard n’existe pour caractériser la dimension environnementale des projets financés. Les enjeux actuels portent notamment sur la qualification verte des projets et sur le renforcement du reporting. Le CGDD (CGDD, 2016) pointe les risques liés à la crédibilité du marché des obligations vertes à cause d’un manque de définition du caractère vert, l’absence de cadrage et le problème de confiance dans les informations transmises sur le suivi et l’évaluation des obligations vertes.

 

Les grands principes des obligations vertes (GBP) publiés par l’ICMA

L’ICMA (International Capital Market Association) a publié en 2017 (ICMA, 2017) les grands principes des obligations vertes. Ces grands principes ne comportent aucun caractère contraignant pour les émetteurs. Les GBS sont davantage des codes de bonne conduite. Les trois concepts fondamentaux sont la transparence, la divulgation et le reporting.

Dans l’élaboration des reportings, l’émetteur doit indiquer une liste des projets financés par les fonds verts, ainsi qu’une brève description des projets, le montant alloué, et leur impact espéré. Dans le cas des accords de confidentialité et d’une forte compétition avec des entreprises présentes sur le marché, les GBP recommandent que l’information soit présentée dans des termes génériques ou sur la base d’un portefeuille agrégé (p.ex., pourcentage alloué à certaines catégories de projets).

Les grands principes des obligations vertes (GBP) proposent, dans un souci de transparence, d’évaluer les indicateurs qualitatifs et, si possible, quantitatifs de performance en précisant bien la méthodologie et les hypothèses associées à l’évaluation des impacts. Une tentative est en cours pour harmoniser l’évaluation de certains impacts (efficacité énergétique, énergie renouvelable, eau et eau usée). L’ICMA encourage d’autres initiatives qui visent à établir des références additionnelles pour l’écriture des rapports d’impacts.

Il est recommandé que les émetteurs puissent faire appel à une personne extérieure (p.ex., des consultants) pour confirmer l’alignement des obligations vertes avec les GBP.

 

L’étude « d’Initiative des Obligations Climatiques » sur les reportings des projets financés par des obligations vertes

L’organisme « Initiatives des Obligations Climatiques » (ou « Climate Bonds Initiatives » en anglais) a réalisé une étude sur l’état actuel du reporting environnemental ex post pour les obligations vertes. Les données ont été collectées auprès de 146 émetteurs et 191 obligations émises jusqu’au 1er avril 2016. En considérant que l’émission des obligations vertes nécessite, d’après les grands principes des obligations vertes, la rédaction d’un reporting annuel, l’étude a alloué un temps pour réaliser le reporting d’une durée d’un an et de 2 mois afin de prendre en compte le temps pour que le reporting soit rendu public. Les résultats ont montré que 74 % des obligations vertes ont fait l’objet d’un reporting environnemental, représentant 88 % de la valeur de ces obligations. Sans surprise, l’élaboration du reporting dépend du montant des émissions d’obligations : plus la valeur des émissions des obligations verte est importante, plus la part des émetteurs réalisant un reporting environnemental est élevée.

Voici les différentes raisons pour lesquelles certaines émissions d’obligations n’ont pas fait l’objet d’un reporting environnemental :

  • Les fonds utilisés par les émetteurs servent à refinancer des projets existants plutôt qu’à financer de nouveaux projets (cas le plus fréquent).
  • Les obligations sont émises dans des placements privés. Aucune ligne directrice ne s’applique dans le cas de placements privés. Cependant, si l’émetteur a utilisé la publicité pour émettre des obligations (p.ex., publication dans un journal), il doit réaliser en contrepartie un reporting. 1 obligation sur 5 n’a pas fait l’objet de reporting concernent les placements privés.
  • Les obligations sont émises avant la publication en 2012 des principes des obligations vertes (GBP) énonçant les principes de bonnes pratiques.
  • Les obligations servent à financer plusieurs activités d’une entreprise verte. L’émetteur considère que le reporting annuel de l’entreprise en matière de développement durable s’applique aussi aux obligations vertes.
  • Le reporting n’est pas public. Les émetteurs peuvent envoyer directement auprès des investisseurs le reporting sous forme d’une lettre sans qu’il soit rendu public.

Près d’un quart des reportings disponibles ont fait l’objet d’un rapport détaillé en indiquant le nom et une description du projet, l’allocation dans les procédures, la part du refinancement vs nouveaux projets, ainsi qu’une évaluation détaillée des impacts. La majorité des reportings (49 %) est d’un niveau moyen avec quelques informations détaillées sur le projet et quelques mesures d’évaluation d’impacts. Concernant le changement climatique, l’indicateur le plus utilisé concerne les émissions évitées, suivi de très loin par l’intensité d’émissions et les émissions de CO2.

Cette étude montre que les informations sur les impacts environnementaux liés aux obligations vertes sont encore très peu utilisées par les investisseurs, posant des problèmes d’asymétrie de l’information entre les investisseurs et les émetteurs. La condition nécessaire à la mise en place d’une finance verte efficace est d’accroître la transparence des informations entre les investisseurs et les émetteurs.

 

Le développement d’une finance verte pour atteindre les objectifs environnementaux européens

Afin de financer les projets verts qui contribueront à atteindre ses objectifs environnementaux ambitieux, la Commission Européenne a créé un groupe d’experts de haut niveau sur la finance durable (HLEG). Le HLEG a publié un rapport en 2018 afin de présenter les principales préconisations pour l’élaboration d’une finance durable.

Voici les principaux points à retenir sur leur préconisation :

  • L’élaboration d’une taxonomie pour distinguer ce qui est vert et ce qui n’est pas vert. Cela nécessite de comparer les impacts des financements à travers par exemple l’élaboration de normes ou de labels. Dans le document, il est précisé que les résultats des projets financés par la finance verte doivent contribuer à l’atteinte des objectifs environnementaux de l’UE, ce qui pose la question de la mesure de cette contribution (Cf. les initiatives sur les « science-based targets »[1] qui déterminent les réductions des émissions de chaque entreprise pour atteindre un monde où l’augmentation de la température est limitée à +2°C). Cette mesure doit permettre d’apprécier la part verte du portefeuille d’actifs.
  • L’adoption d’une approche sectorielle des fonds alloués à la finance verte, afin de refléter la diversité des potentialités de réduction des émissions selon les secteurs d’activités.
  • L’élaboration de normes et d’écolabels pour identifier les actifs verts. Actuellement, les reportings environnementaux sont basés sur des auto-évaluations, ce qui implique des niveaux hétérogènes de méthodologies, de transparence et d’ambitions. Un des prérequis pour le développement d’une finance verte est la garantie de la qualité de cette auto-évaluation à travers l’apparition d’une méthodologie standardisée. Le HLEG préconise d’accroître la transparence sur l’impact soutenable des fonds. L’objectif est que les investisseurs puissent comprendre l’impact de leur épargne à travers l’élaboration d’un faible nombre d’indicateurs simples et compréhensibles. Il est donc possible d’établir un label vert pour les portefeuilles qui atteignent une certaine part de financement de projets verts et qui excluent les activités non compatibles avec les objectifs environnementaux de l’UE (p.ex., activités fortement intensives en énergie fossile). Il faut rendre visibles les actifs qui ont une forte priorité pour l’UE pour atteindre une économie bas carbone et résiliente au changement climatique.
  • L’élaboration d’un reporting environnemental, uniquement recommandé dans le GBP publié par l’ICMA, doit être obligatoire dans l’UE. L’appel à un tiers (p.ex., consultants) serait aussi exigé pour apprécier si le programme financé se conforme bien aux objectifs environnementaux de l’Union Européenne.

Ce rapport expose très clairement les enjeux autour de l’élaboration d’un reporting environnemental de qualité afin de pouvoir évaluer les impacts environnementaux des investissements dans les actifs ou les portefeuilles d’actifs afin d’apprécier si les activités ou projets financés sont compatibles avec les objectifs environnementaux de l’UE.

 

L’investissement à impacts ou « impact investing » 

Le terme « impact investing » que l’on pourrait traduire en français par investissement à impacts a été créé par la fondation Rockfeller en 2007. Selon le site web du réseau mondial d’investissement à impacts (GIIN ou Global Impact Investing Network), les investissements à impacts sont définis comme « des investissements réalisés par des entreprises, organisations ou des fonds avec l’intention de générer des impacts sociaux et environnementaux en parallèle du retour financier ». En ce sens, il est différent des investissements philanthropiques (qui ne recherchent pas un retour financier) et des investissements socialement responsables (qui recherchent à éviter des impacts négatifs sans nécessairement rechercher des impacts positifs).

D’après l’enquête annuelle du GIIN de 2017, les 208 répondants à l’enquête ont investi 114 milliards de dollars américains dans les actifs d’investissement à impacts (ce chiffre correspond au plancher du marché compte tenu du caractère non exhaustif de l’enquête).

La mise en place des investissements positifs exige donc des investisseurs de surveiller et de gérer les performances sociales et environnementales des entités émettrices.

Dans le cas du développement de l’investissement à impacts, le GIIN a créé un organisme appelé IRIS (Impact Reporting and Investment Standards) dont le but est de développer des méthodes et des indicateurs permettant d’apprécier les impacts sociaux et environnementaux des actifs ou des portefeuilles d’actifs pour les investisseurs.

IRIS a publié un ensemble d’indicateurs d’impacts classés par section (performance financière, impact opérationnel, description organisationnelle, description du produit et impact du produit) et par secteur d’activités. Parmi les impacts environnementaux, on trouve actuellement des indicateurs qui visent à intégrer les impacts indirects (ou les impacts tout le long de la chaîne de valeur). On trouve ainsi dans la classification IRIS les émissions indirectes des GES. Cela concerne seulement les achats en produits fortement émetteurs de GES comme l’électricité, la chaleur et la vapeur, le transport, les matériaux, les énergies fossiles, les déchets.

IRIS publie également sur son site internet le reporting des entreprises et des institutions financières qui utilisent les indicateurs qu’ils ont développés. Pour chacun des organismes, il est indiqué le nombre d’indicateurs utilisés ainsi que le lien internet vers le reporting.

On trouve aussi sur le site internet d’IRIS des guides méthodologiques présentant différents outils opérationnels (p.ex., le SROI, l’analyse entrées-sorties, analyse coût-bénéfice, empreinte de pauvreté) afin d’évaluer les impacts économiques, sociaux et environnementaux.

 

Ainsi, le développement d’une finance verte doit passer par une meilleure transparence des impacts environnementaux générés par l’investissement dans des actifs ou des portefeuilles d’actifs. Jusqu’à ce jour, aucune méthode standardisée n’existe pour préciser la frontière entre les actifs verts et les actifs classiques, ainsi que pour apprécier les impacts environnementaux liés à l’investissement des actifs. Les reportings environnementaux, lorsqu’ils sont produits, s’appuient sur des méthodes reposant pour chacune sur des hypothèses spécifiques. Cela complexifie les comparaisons entre projets et activités. Les initiatives actuelles telles que l’investissement à impacts cherchent à développer un ensemble d’indicateurs qui pourraient permettre de réaliser de manière standardisée ces évaluations environnementales. Ainsi, le défi actuel est de déterminer des indicateurs simples et compréhensibles qui permettent d’évaluer les impacts environnementaux des investissements et de distinguer les actifs verts des actifs classiques.

[1] http://sciencebasedtargets.org/

 

 

Bibliographie

Berger, A., 2017, L’essor des green bonds : potentialités et limites, Responsabilité & Environnement, n°88, pp. 68 – 70

Climate Bonds Initiative, 2017, Post-Issuance reporting in the green bond market

CGDD, 2016, Les obligations vertes au service de la transition énergétique et écologique

GIIN, 2017, Annual Impact Investor Survey

ICMA, 2015, Green Bonds working towards a harmonized framework for impact reporting

ICMA, 2017, The Green Bond Principles 2017: Voluntary Process Guidelines for Issuing Green Bonds

IRIS, IRIS 4.0 taxonomy

Rivière-Giordano, G., 2012, Vérifier les informations environnementales pour crédibiliser le green reporting et enrayer le green washing, 8ème journée de l’Association Française de Marketing, 25 p.