En avril 2015, le Sénat a voté une proposition de loi, déjà validée à l’Assemblée, portant sur la publication d’indicateurs de richesse venant compléter la mesure du PIB. Trois thématiques ont été sélectionnées par les parlementaires : la qualité de vie, le patrimoine national et enfin, l’environnement. Sur ce dernier point, le changement climatique et la biodiversité sont les deux composantes retenues. Si les enjeux liés à la prise en compte de la biodiversité sont faciles à saisir, la mise en place d’indicateurs fonctionnels mesurant celle-ci constitue un véritable défi. Cette proposition de loi nous permet de penser que des avancées sont possibles. Espérons qu’elle ne soldera pas par un rapport sans réelle portée pratique, comme ce fut le cas pour la Commission Stiglitz dont les conclusions, délivrées en 2009 quelques mois avant le lancement de l’année de la biodiversité, n’ont pas permis d’aboutir à une véritable refonte des indicateurs de richesse.
Le PIB, un outil de mesure économique sourd aux enjeux environnementaux
La réforme du PIB et la prise en compte de l’environnement dans notre système économique est un serpent de mer. Depuis des décennies, le PIB est critiqué et contesté : il ne permet de raisonner qu’en termes de flux et est incapable de mesurer la qualité de vie réelle d’une population ou encore les dégradations environnementales. Il reste cependant le critère de mesure principal de la « bonne santé » des pays du monde entier. Les impacts de notre modèle économique sur la biodiversité sont connus : destruction d’habitats, propagation d’espèces invasives, pollutions de toutes sortes ou encore surexploitation des ressources naturelles. Pourtant, le PIB reste muet sur ces phénomènes. Dans le jargon économique, on dit qu’il ne prend pas en compte les externalités environnementales, c’est-à-dire les actions des agents économiques dont les conséquences, positives ou plus souvent négatives, sont ignorées par les mécanismes de marché. Une réforme du PIB apparaît donc nécessaire.
Changer l’économie pour mieux protéger la biodiversité
De plus, crise écologique et crise économique ont des racines communes et l’on peut avancer qu’elles se nourrissent l’une de l’autre. Préserver la biodiversité et nos écosystèmes serait également un moyen d’assurer la pérennité de nos économies. C’est ce qu’affirme ainsi l’essayiste Naomi Klein dans son dernier ouvrage, Ceci change tout : le capitalisme contre le climat. Lutter contre le réchauffement climatique et la perte de biodiversité implique de changer notre modèle économique ; modèle qui court de toute manière à sa perte s’il continue à détruire le capital naturel. Nous devons réussir à concilier économie et environnement pour répondre aux besoins humains d’une part et protéger la biodiversité d’autre part. Des indicateurs de biodiversité crédibles et compris par tous n’amèneront pas de suite à un changement radical de notre système économique mais ils constituent une étape nécessaire.
Des indicateurs à la portée limitée
Mais comment faire ? Une multitude d’indicateurs existe déjà et la biodiversité est difficile à mesurer. Comment traduire du qualitatif en quantitatif ? Comment mesurer la dégradation ou l’amélioration d’écosystèmes, d’habitats, d’espèces dont nous saisissons parfois à peine la complexité ? Construire un indicateur global, macroéconomique et synthétique semble difficile. Le PIB vert a longtemps été présenté comme une solution pour concilier mesure de la croissance et mesure de l’état de l’environnement. En 2012, lors du sommet Rio +20, le PNUE avait lancé l’Indice de richesse globale, indicateur prenant en compte les dégradations environnementales dans le calcul de la richesse des pays. Au-delà des débats techniques qu’avait suscité l’indicateur lui-même, c’est le manque d’enthousiasme des acteurs publics à l’adopter qui a quelque peu enterré cet outil.
Des indicateurs microéconomiques portés par la société civile et le secteur privé pour réformer le PIB ?
L’intégration de l’environnement et de la biodiversité dans la comptabilité publique peut être facilitée par la démarche d’acteurs économiques qui font dès aujourd’hui cet effort. Des entreprises, à travers des outils comme l’analyse du cycle de vie, des indicateurs comme l’empreinte écologique ou la surface écologique utile tentent de mesurer l’impact de leurs activités sur la biodiversité. Leurs actions peuvent ainsi amener à une meilleure prise en compte de la biodiversité à l’échelle macroéconomique. Cependant, ces indicateurs restent imparfaits et ne peuvent s’utiliser dans toutes les situations ; leur pertinence reste dépendante du contexte de production ou de la logique des acteurs qui y font appel. Une réflexion est à mener sur les services écosystémiques. Si la biodiversité ne se résume pas à ces services, ils constituent pourtant une porte d’entrée pour mieux la comprendre et l’intégrer dans les décisions économiques. Un indicateur permettant de mesurer les variations des services fournis par les écosystèmes pourrait ainsi être pertinent pour concilier biodiversité et activité économique. Les évaluations économiques menées par Vertigo pour le Conservatoire du Littoral montrent que l’approche par les services est pertinente pour relier environnement et économie. Les valeurs associées aux différents services fournis par les écosystèmes parlent aux acteurs économiques et leur permettent de mieux mesurer l’impact de leurs décisions. Des solutions existent donc pour concilier mesure de la biodiversité et mesure de l’activité économique. Ces solutions techniques pour intégrer l’environnement dans les comptabilités privées et publiques ne seront néanmoins réellement efficaces que si elles s’accompagnent d’une réelle volonté de l’ensemble des acteurs de changer. Nos modèles économiques doivent en effet évoluer pour permettre une meilleure protection de la biodiversité.