Dans le domaine du développement durable et de l’environnement, l’expression « générations futures » est si récurrente qu’elle est devenue inévitable. Ainsi, le respect des générations futures est un élément clé du discours des décideurs publics et politiques lorsqu’ils évoquent l’environnement. Cependant, les arbitrages politiques actuels et la prédominance du temps court sur le temps long contredisent ces discours.
Face au changement climatique, à la perte grandissante de la biodiversité et à la dégradation de nos écosystèmes, le sort de ces générations futures paraît moins enviable que le nôtre. Les décideurs publics ne sont pas aujourd’hui en capacité d’intégrer le long terme dans leur vision et dans leurs choix de politiques publiques. Plusieurs facteurs sont ici en cause.
La structure même du jeu politique tout d’abord. Une décision se construit en fonction de différentes considérations et interdépendances : représentation de l’intérêt collectif, analyse des éléments économiques et sociaux, stratégies et rapports de force entre les acteurs, fenêtres d’opportunité mais également objectifs personnels du décideur. Ce dernier sait en effet qu’il sera jugé par les citoyens selon ses réalisations. Le cycle électoral et la professionnalisation du corps politique amène le décideur à préférer les projets qui ont la plus forte acceptabilité sociale ou qui apportent les réponses les plus rapides aux attentes de ses électeurs. Dans ce cadre, les politiques de conservation de l’environnement, dont les bénéfices s’observent sur plusieurs années, apparaissent beaucoup moins séduisantes au décideur politique. Le développement d’activités économiques, visibles pour le citoyen, sera plus facilement valorisable auprès de ses électeurs à la fin de son mandat. L’arbitrage en faveur du long terme est donc gêné par les ambitions personnelles de l’acteur politique.
Cependant, le système économique dans lequel nous évoluons ne permet pas non plus de développer une réflexion sur les coûts et bénéfices à long terme de certains choix publics. « A long terme, nous sommes tous morts. », disait ainsi Keynes. La rentabilité économique sur des temps courts est souvent privilégiée à un étalement des bénéfices. Les outils utilisés en prévision économique orientent ce rapport de force entre court terme et long terme. Prenons l’exemple du taux d’actualisation. Lorsqu’on calcule les coûts et les bénéfices d’un projet sur plusieurs années, il faut les actualiser, c’est-à-dire déterminer la valeur actuelle de ces flux futurs. Un taux d’actualisation très élevé écrase le futur par rapport au présent : on donne plus de poids aux valeurs des années qui nous sont proches. A l’inverse, un faible taux d’actualisation va lisser les coûts et les bénéfices sur l’échelle de temps considérée, les valeurs futures seront mieux prises en compte. Ainsi, selon le taux d’actualisation choisi pour évaluer la rentabilité d »un projet, le rapport de force entre court et long terme ne sera pas le même. De plus, la prise en compte ou non de certains coûts ou bénéfices futurs affectent la rentabilité de certains projets et influencent les arbitrages politiques. L’exemple du choix du nucléaire en France est ici intéressant : cette technologie aurait-elle était choisie si l’on avait réellement mesuré les coûts de démantèlement des centrales dans le calcul de sa rentabilité ?
Comment dans ce contexte favoriser la prise en compte du temps long ? Quels outils fournir aux décideurs pour que leurs arbitrages se fassent sur des horizons socio-économiques de plus étirés dans le temps ? En effet, la transition écologique nous oblige à nous replacer sur une échelle de temps beaucoup plus grande. La protection de l’environnement n’amène pas à des gains immédiats et spectaculaires mais sur le long terme, elle produit des bénéfices indispensables. De plus, face aux grands problèmes environnementaux et climatiques, les coûts de l’inaction politiques peuvent devenir considérables que cela soit à l’échelle locale, nationale ou internationale. Certains coûts se répercutent déjà dans les budgets publics : augmentation de dépenses de santé liées à la pollution de l’air et de l’eau ou encore mesures de protection contre les aléas climatiques (digues pour contrer l’érosion côtière par exemple).
Il faut ainsi trouver les clés et les outils pour que les décideurs politiques intègrent la valeur de l’environnement sur le long terme. L’économie est souvent un argument décisif pour les arbitrages politiques, utilisons la pour parler de l’environnement et des services rendus par les écosystèmes avec les décideurs. Ainsi, lors d’une étude sur les bénéfices de la stratégie du Conservatoire du Littoral à l’horizon 2050, Vertigo a montré que le renforcement de l’action de protection du littoral par cette institution générait plus de bénéfices que l’affaiblissement de cette protection. Outre l’utilisation des outils économiques comme plaidoyer pour le long terme, la prospective et la construction de scénarios réalistes ont un rôle à jouer dans l’arbitrage politique.
Aider le politique à envisager le futur est une des clés pour favoriser le long terme. Les scénarios proposés ne doivent pas être catastrophistes. Au contraire, il est nécessaire de montrer en quoi l’intégration des services environnementaux et de l »écologie dans la prise de décision peut conduire à des situations futures désirables et pragmatiques face aux changements auxquels nous devons faire face. Les obstacles à la prise en compte du long terme sont nombreux et la seule mise en place de nouveaux outils d »aide à la décision n »est pas suffisante. La question de la refonte du système politique est ici inévitable. Il est tout d’abord nécessaire de dissocier les décisions qui concernent la gestion de la société, des territoires de celles qui engagent leur avenir et leur structure future. Aujourd »hui, ce sont les mêmes représentants politiques qui doivent trancher des questions présentes et des choix d »avenir. Cette question du temps long est récurrente dans la vie politique et institutionnelle française. Déjà, la DATAR du Général de Gaulle avait cette ambition de planification des activités et de l’aménagement du territoire sur plusieurs décennies. De même, la création du CESE et sa vocation de « Maison du temps long » avait un temps donné l’espoir d »une réflexion politique à long terme sur les orientations du pays. Malheureusement, l »action de cette instance est aujourd’hui beaucoup trop limitée. Dans son ouvrage, Pour une démocratie écologique, Dominique Bourg offre des pistes de réflexion pour modifier notre modèle démocratique avec la création par exemple d’un parlement du futur chargé de réfléchir et de statuer sur des enjeux de long terme et une réforme de la démocratie avec le tirage au sort des élus. L’immédiateté qui marque nos sociétés, l’acceptabilité sociale d’éventuelles réformes du politique et la prégnance des enjeux de court terme dans la prise de décision sont également des obstacles à surmonter. Les problèmes environnementaux nous poussent ainsi à un effort de réflexion supplémentaire pour mettre en place des solutions innovantes éclairant l’arbitrage politique. Montrer les bénéfices concrets des politiques environnementales de long terme aux décideurs, comme le permet l’économie de l’environnement, est déjà un premier pas.