Cuisiner des tomates biologiques en décembre sonne aujourd’hui comme un contre-sens. Les tomates hivernales tout droit sorties des systèmes hors-sols, qui alimentent 70% de nos étals français semblent loin des convictions environnementales en plein essor. Des plantes cultivées sur un substrat artificiel irrigué d’un courant de solution qui apporte sels minéraux et nutriments, parfois sous lumière artificielle, voilà un tableau qui semble aux antipodes de l’agriculture durable. Pourtant, certaines voix s’élèvent : et s’il était possible de se soucier de l’environnement et de produire en hydroponie ?
L’agriculture hydroponique, autre nom pour agriculture hors-sol ne peut pas aujourd’hui être certifiée biologique en France. L’agriculture biologique, c’est un cahier des charges qui fleure bon la terre humide, la rosée du matin et le crottin de cheval, c’est oublier les engrais de synthèse et les pesticides chimiques pour un retour au terroir et à la nature. Pas question de parler de bâches plastifiées. Difficile de réfuter les bienfaits de l’agriculture biologique pour les écosystèmes : elle redonne au sol sa fertilité naturelle, proscrit l’utilisation du « tout chimique », et respecte les équilibres des nutriments et des micro-organismes. Finalement, l’agriculture biologique apparaît aujourd’hui comme la solution de choix pour redonner de la valeur aux écosystèmes, produire « durable », et préserver l’environnement. Mais ce qui est néfaste à l’environnement, ce n’est pas tant l’application de produits de synthèse, c’est avant tout l’excès : un engrais, qu’il soit organique ou minéral, aura des conséquences nuisibles s’il est appliqué en trop grande quantité. Il devient source de nitrate dans l’eau ou de protoxyde d’azote dans l’air. Opposer agriculture biologique vs hors-sol n’est donc peut-être pas un véritable enjeu.
Et si la notion de durabilité n’était pas antinomique avec la production hors-sol ? L’hydroponie utilise moins d’eau, et généralement moins d’intrants étant donné la précision des dosages des solutions nutritives. Ajoutons à cela que créer un système de production déconnecté du sol permet de contrôler ces fuites de polluants vers les écosystèmes. Le verrou est surtout lié au caractère chimique et artificiel de ces intrants, qui ont cette mauvaise image auprès du consommateur qui se réfugie alors vers le bio, le « naturel ». Comment argumenter en faveur d’une production déconnectée du sol qui soit favorable à la préservation de l’environnement ? William Texier, fondateur de l’entreprise GHE qui a développé un engrais liquide biologique utilisable en hydroponie est un fervent défenseur de la « bioponie », une agriculture à la fois hydroponique et biologique. Elle permettrait ainsi de cultiver hors-sol sans produits chimiques.
S’il peut exister un intérêt en termes économiques pour l’agriculteur, grâce à la moindre pénibilité et aux rendements plus élevés des cultures hors sol, le consommateur peut y trouver lui aussi un intérêt. Pour produire une tonne de tomates en pleine terre, 500 mètres carré sont nécessaires. Si maintenant cette tonne de tomates biologiques est produite en bioponie, par exemple via des systèmes d’agriculture urbaine, sur des toits, des balcons, ou même des installations verticales comme celles développées par l’université de Columbia, on gagne 500 m² de terres. Et ces « nouvelles » terres sont une vraie mine d’or : doubler la production agricole, créer des jardins, redonner cet espace à la nature en créant une forêt ou une zone humide, les possibilités sont multiples. La bioponie, si elle s’inscrit dans un cadre cohérent c’est-à-dire en évitant de faire de l’hors-sol sur des terres arables, présente des bénéfices doubles : produire « bio » pour répondre à la demande de « consommation responsable », et valoriser ces terres « économisées » qui fournissent des services écosystémiques : régulation de l’eau, stockage de carbone et création de paysages naturels. Peut-être une nouvelle manière de répondre à l’envie de retour à la nature des écocitoyens de demain…’