Chaque semaine, le Lab sélectionne pour vous une actualité jugée particulièrement intéressante et pertinente et la présente en quelques lignes. Cette semaine, le Lab s’intéresse au lien entre rendements agricoles et utilisation de pesticides et engrais à l’échelle des unités paysagères : évidence ou controverse ?
C’est un pavé dans la marre lancé par une équipe de chercheurs du Centre d’Etudes Biologiques de Chizé : il serait possible d’augmenter les rendements agricoles en diminuant les quantités de pesticides et d’engrais utilisées, sans les remplacer par d’autres intrants. C’est en tout cas le résultat de leur étude pointant l’importance d’une bonne gestion des adventices, communément appelées « mauvaises herbes », pour augmenter les rendements. En effet, celles-ci profitent des engrais azotés épandus par les agriculteurs pour proliférer et entrer en concurrence avec les cultures. Des pesticides doivent donc être utilisés pour compenser : beaucoup d’intrants coûteux et dommageables à la biodiversité sont finalement utilisés pour un résultat parfois peu probant.
Cette étude sur les pesticides est une première en France, de par la spécificité de ses conditions expérimentales. La Zone Atelier (utilisée pour d’autres programmes de recherche depuis 1994) s’étend en effet sur 450 kilomètres carrés, incluant 13 000 parcelles et 450 exploitations agricoles : des conditions réelles pour évaluer la réalité des pratiques dans leur ensemble et traiter les problématiques agronomiques avec une démarche systémique à l’échelle des unités paysagères. De nombreux autres travaux de recherche ont déjà bénéficié de ce dispositif. Il a ainsi pu être démontré que si les agriculteurs peuvent relativement bien contrôler l’abondance des adventices sur leur propre terrain, leur richesse en termes de biodiversité est largement dépendante des pratiques agricoles des parcelles voisines, et notamment de la présence de champs cultivés en agriculture biologique dans les environs, qui induit une moindre utilisation de pesticides sur le territoire [2].
Or, la richesse spécifique de ces « mauvaises herbes » est une des clés pour stimuler les pollinisateurs, par ailleurs indispensables à de nombreuses cultures, entre deux périodes de floraison des plantes cultivées. Il a ainsi été montré que le coquelicot peut fournir jusqu’à 60 % du pollen nécessaire aux abeilles dans ces périodes creuses ! Même les oléagineux (colza, tournesol), qui utilisent pourtant majoritairement le vent pour disséminer les pollens nécessaires à la formation des graines, bénéficient largement d’une augmentation de la diversité et de l’abondance des pollinisateurs.
Cependant, cette biodiversité, tant les adventices que les pollinisateurs, est fortement menacée par le recours aux pesticides (eux-mêmes nécessaires pour contrer les effets secondaires des engrais), notamment par les néonicotinoïdes dont l’utilisation est en augmentation et qui déciment abeilles et carabes [3]. Ces derniers, petits scarabées très communs dont les populations ont chuté de 90 % en 20 ans, sont pourtant fondamentaux pour de nombreuses fonctions écologiques et services écosystémiques agricoles (ce sont par exemple des prédateurs naturels de certains nuisibles). Il a par ailleurs été démontré que les pollinisateurs peuvent contribuer à un tiers des rendements végétaux, et même améliorer leur qualité, leur conservation et leur valeur commerciale [4].
Utiliser moins d’engrais et moins de pesticides pourrait donc finalement … augmenter les rendements économiques des agriculteurs, jusqu’à 200 euros par hectare de blé ! Ceci est une nouvelle illustration des bénéfices associés au maintien ou à la restauration des services écosystémiques. Mais cela suppose une gestion intégrée à l’échelle des unités paysagères, puisque les écosystèmes de chaque parcelle ne sont pas hermétiques les uns aux autres. D’où la nécessité de mettre en place des schémas cohérents de mesures agro-environnementales à une échelle plus vaste que celle des limites cadastrales [5].
La « Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre » utilisée pour les expérimentations à l’échelle des unités paysagères, ici pour suivre les populations de carabes. [5]
De là à affirmer que l’agriculture biologique augmente les rendements des parcelles voisines, même si celles-ci ne sont pas en bio, il n’y a qu’un pas. S’il a déjà été montré que l’agriculture biologique augmente bien la diversité et l’abondance des pollinisateurs à l’échelle des unités paysagères [6], ces parcelles non traitées peuvent aussi être un habitat pour d’autres espèces dommageables aux cultures. Ce pas pourra peut-être être franchi avec les nouveaux travaux du Centre d’Etudes Biologiques de Chizé qui visent justement à étudier les externalités, y compris positives, de l’agriculture biologique à l’échelle des unités paysagères, même si la rémanence des produits chimiques utilisés dans les sols et de leurs impacts pendant plusieurs années rendent les interprétations à un instant t délicates.
En lien avec ces thématiques, Vertigo Lab a réalisé plusieurs études sur l’agriculture durable, notamment sur la rémunération des services environnementaux rendus par l’agriculture et sur les semences paysannes dans le cadre du programme « L’Aquitaine cultive la biodiversité ». L’évaluation des bénéfices associés au maintien ou à la restauration des services écosystémiques est également au cœur de l’expertise de Vertigo Lab (voir par exemple notre étude sur la valeur ajoutée de la protection des mangroves de l’outre-mer français).
[1] Agriculture : et si on produisait plus avec moins de pesticides et d’engrais, Le Monde Science et Techno, 27 juin 2016. http://www.cebc.cnrs.fr/publipdf/2016/PAEE223_2016.pdf
[2] Petit, S., Gaba, S., Grizon, A.L., Meiss, H., Simmoneau, B., Munier-Jolain, N., Bretagnolle, V. (2016). Landscape scale management affects weed richness but not weed abundance in winter wheat fields, Agriculture, Ecosystems and Environment 223, 41-47. http://www.actu-environnement.com/ae/news/utilisation-pesticides-neonicotinoides-unaf-26888.php4
[3] L’utilisation des pesticides néonicotinoïdes ne faiblit pas, Actu Environnement, 30 mai 2016. http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/281/1775/20132440
[4] Klatt, B. K., Holzschuh, A., Westphal, C., Clough, Y., Smit, I., Pawelzik, E., Tscharntke, T. (2013). Bee pollination improves crop quality, shelf life and commercial value, Proceedings of the Royal Society B 281:1775. http://www.cebc.cnrs.fr/publipdf/2016/CAEE229_2016.pdf
[5] Caro, G., Marrec, R., Gauffre, B., Roncoroni, M., Augiron, S., Bretagnolle, V. (2016). Multi-scale effects of agri-environment schemes on carabid beetles in intensive farmland, Agriculture, Ecosystems and Environment 229, 48-56. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.2007.0030-1299.16303.x/abstract?userIsAuthenticated=false&deniedAccessCustomisedMessage=
[6] Holzschuh, A., Steffan-Dewenter, I., Tscharntke, T. (2008). Agricultural landscapes with organic crops support higher pollinator diversity, Oikos 117:3, 354-361.