Chaque semaine, le Lab sélectionne pour vous une actualité jugée particulièrement intéressante et pertinente et la présente en quelques lignes. Cette semaine, le Lab s’intéresse à la parution du rapport de l’OCDE sur la politique environnementale française. Quels sont les enseignements à tirer de ce bilan décennal ?
« Bien, mais peut et doit mieux faire ». Comme le souligne Rémi Barroux, journaliste au Monde, le rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) sur la politique et les engagements environnementaux de la France, remis ce lundi 11 juillet à Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable, souligne l’existence d’importantes marges de progression [1]. L’intérêt de cette évaluation réalisée tous les 10 ans pour chaque pays membre de l’OCDE est de s’affranchir des effets d’annonce pour mesurer de manière plus distanciée les écarts entre engagements politiques et réalisations. 33 recommandations portant sur la croissance verte et l’amélioration de la gouvernance et la gestion de l’environnement sont ainsi formulées dans le rapport venant de paraître. Quels sont les principaux enseignements du travail réalisé par l’OCDE pour la France ?
Quels progrès depuis 2005 ?
Parmi les recommandations formulées par l’OCDE en 2005 figuraient la réduction des pollutions d’origine agricole, le maintien d’une approche par bassin pour les politiques de l’eau, le renforcement des mesures concernant les émissions de NOx dans les secteurs transport, agriculture, industrie, énergie, la mise en œuvre d’une commission fiscale ou encore le renforcement de la mise en œuvre des réglementations environnementales dans l’ensemble des politiques territoriales [2]. Ces pistes d’action formulées par l’OCDE ont été en partie reprises dans les politiques françaises ces dix dernières années. Dès 2007, l’organisation du Grenelle de l’environnement a par exemple permis de mettre en place un nouveau mode de gouvernance environnementale : l’intégration des parties prenantes (associations, entreprises, syndicats, etc.) dans les instances de concertation sur l’environnement s’est ainsi systématisée [3]. La création du Commissariat général au développement durable en 2008 a également permis une meilleure articulation des administrations dans ce domaine tandis que l’élargissement des compétences du ministère de l’environnement au tourisme et à la mer, aux transports ainsi qu’à l’énergie a favorisé la cohérence des politiques sectorielles. La mise en œuvre d’une composante carbone dans la fiscalité et la création du comité sur la fiscalité écologique en 2012 répondent également à l’une des recommandations du rapport de 2005.
Pour ce qui est de la biodiversité, le rapport de l’OCDE souligne que la France a renforcé sa position de leader international avec notamment le soutien à la création de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques et la multiplication par trois de l’aide publique au développement dédiée à la biodiversité depuis 2008. Comme le note le rapport de l’OCDE, la France a également progressé sur la réduction des gaz à effet de serre (GES), les prélèvements d’eau douce ou encore la stabilisation de la production de déchets municipaux.
Enfin, l’année 2015 a été marquée par l’action particulièrement volontariste de la France dans le domaine environnemental avec l’organisation de la COP21 et le vote de l’Accord de Paris ainsi que l’adoption de la loi de transition énergétique. L’adoption à venir de la loi sur la biodiversité pourrait également constituer une grande avancée de la politique environnementale française et de son cadre réglementaire. Le bilan global des évolutions dans le domaine environnemental depuis dix ans est donc plutôt positif et les avancées françaises multiples.
De fortes ambitions et des objectifs loin d’être atteints
Cependant, l’écart entre les ambitions affichées et inscrites dans les textes et les résultats effectivement obtenus est également mis en avant par le rapport de l’OCDE. Si de manière globale, la France a réussi le découplage de la croissance de son PIB et des pressions environnementales, les politiques portant sur la qualité de l’air ou la pollution des eaux n’ont pas eu les résultats escomptés. De même, certains succès comme la réduction des émissions de GES ne sont pas directement imputables à des mesures publiques mais à des tendances de fond comme la désindustrialisation du pays. Voici certains des points de vigilance (ou « défis ») mis en avant par les économistes de l’OCDE [4] :
-Qualité de l’air : la prépondérance du diesel dans le transport engendre un dépassement des plafonds européens pour les émissions d’oxyde de carbone ainsi que des dépassements des seuils d’alerte pour la santé humaine pour la pollution de l’air par l’ozone, le dioxyde d’azote et les particules fines.
-Artificialisation des sols : l’artificialisation augmente deux fois plus vite que la population.
-Usage des pesticides : une augmentation de 29% de l’usage des produits phytosanitaires a été estimée entre 2008 et 2014, alors que le Plan Ecophyto visait à les réduire de 50 %.
-Transition énergétique : les engagements pris par la France en termes de production d’énergie renouvelable pourront difficilement être tenus. L’objectif est en effet à 23% d’ENR dans la consommation finale brute d’énergie d’ici à 2020 alors que la part des ENR est aujourd’hui d’un peu moins de 15%. De manière plus générale, l’OCDE recommande que la mise en œuvre de la transition énergétique soit mieux explicitée et cadrée (ce que devrait par ailleurs permettre la programmation pluriannuelle de l’énergie).
–Biodiversité : la France n’a pas réussi à endiguer la perte de biodiversité sur son territoire comme le prévoyait les objectifs de la Convention sur la diversité biologique. De même, la dégradation des zones humides se poursuit. L’organisation souligne de plus la nécessité de développer des indicateurs économiques d’évaluation ex-post pour le suivi des projets de protection et de restauration de la biodiversité. Le travail réalisé dans le cadre de la loi sur la biodiversité et le renforcement de la séquence « éviter, réduire, compenser » devrait cependant permettre des avancées.
Figure 1: Usage des phytosanitaires en France – Source : OCDE, 2016
Un focus sur la fiscalité environnementale
Le développement de la fiscalité écologique constitue une recommandation transversale du rapport de l’OCDE ; les enjeux liés à la fiscalité apparaissant aussi bien dans les analyses portant sur les transports, sur la politique agricole ou sur la biodiversité. A titre d’illustration, la fiscalité des carburants est favorable au diesel, ce qui aggrave la pollution de l’air. Le verdissement de la fiscalité constitue pour l’OCDE un axe d’action essentiel alors que le poids de la fiscalité écologique dans l’économie française reste assez faible (2% du PIB pour une moyenne de 2,4% pour les pays européens de l’OCDE) et que le principe pollueur-payeur, qui a pourtant une valeur constitutionnelle, se reflète peu dans les dispositifs fiscaux.
Figure 2 : Poids de la fiscalité écologique dans les systèmes fiscaux
Si des efforts ont été réalisés (l’intégration d’une composante carbone dans la taxation des énergies fossiles en est un excellent exemple), des subventions dommageables à l’environnement pourraient encore être supprimées. C’est le cas par exemple des aides publiques favorisant la destruction des habitats naturels, la surexploitation des ressources et les pollutions, qui doivent être restructurées. Les réformes de la fiscalité sont cependant délicates à mener (on se souvient de l’abandon de l’écotaxe) surtout quand elles remettent en cause des orientations économiques et politiques bien ancrées telles que l’avantage accordé au diesel ou le soutien à l’agriculture intensive et aux industries agro-alimentaires qui en dépendent. Ces recommandations de l’OCDE devraient permettre de donner plus de poids aux propositions de réforme que pourraient formuler à l’avenir le Comité pour l’économie verte. Il faut cependant rappeler que le rapport de l’OCDE n’a aucun caractère contraignant et vise à favoriser l’auto-évaluation des pays sur leurs politiques.
Dans le cadre de sa participation au programme RESCCUE (Restoration of Ecosystem Services and Adaptation to Climate Change), Vertigo Lab travaille sur la thématique de la fiscalité écologique à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie, à travers notamment l’identification des principaux effets négatifs de la fiscalité et l’évaluation de ses potentiels impacts environnementaux et socio-économiques. Ce projet permettra d’appuyer le gouvernement néo-calédonien dans la réforme des dispositifs fiscaux les plus dommageables aux écosystèmes et à la biodiversité.
1] Voir l’article paru dans Le Monde : «L’OCDE pointe les insuffisances de la politique environnementale de la France », Rémi Barroux, 11 juillet 2016.
[2] Voir la synthèse du rapport de 2005 de l’OCDE : https://www.oecd.org/fr/env/examens-pays/34463371.pdf
[3] Voir à ce sujet le rapport d’information sénatorial de janvier 2013 : http://www.senat.fr/rap/r12-290/r12-2901.pdf
[4] Une version synthétique de ce rapport est disponible ici : http://www.oecd.org/fr/environnement/examens-pays/L »Essentiel%20France%20WEB.pdf