Chaque semaine, le Lab sélectionne un document ou un projet jugé particulièrement intéressant et pertinent et le présente en quelques lignes. Cette semaine, le Lab s’intéresse à un rapport publié par le Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) actualisant les analyses sectorielles de février 2013 concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre de la France et l’atteinte des objectifs du Facteur 4. Voilà une occasion pour le Lab de vous faire un petit point sur les engagements de la France en la matière et de dresser un bilan de leur mise en œuvre !
Le Facteur 4, quésaco ?
Le Facteur 4 désigne l’objectif que s’est donné la France dès 2005 de diviser par 4 ses émissions de GES et ses consommations d’énergie en 2050 par rapport à leur niveau de 1990. Inscrit à plusieurs reprises dans la loi française (Grenelle de l’Environnement, Plan Climat et plus récemment dans la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV)), il s’appuie sur les projections climatiques réalisées par le Groupement Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC). A l’échelle mondiale, l’objectif, pour limiter une élévation moyenne des températures de 2°C d’ici 2100 est ainsi de diminuer d’au moins d’un facteur 2 les émissions en 2050 par rapport à leur niveau de 1990.
Mais alors, pourquoi un Facteur 4 pour la France ?
La France est partie du principe que cette réduction globale à atteindre ne pouvait pas être uniformément répartie entre les différents pays du monde, les pays industrialisés émettant beaucoup et ayant beaucoup émis par le passé, et ceux en développement aspirant à augmenter leur niveau de vie et donc incontestablement leurs émissions. Elle a ainsi retenu l’objectif d’une réduction bien supérieure à la moyenne, le Facteur 4.
Les autres engagements de la France en matière de lutte contre le réchauffement climatique
La lutte contre le changement climatique n’implique pas seulement la réduction des émissions de CO2. Zoom sur les autres engagements de la France en la matière à l’échelle internationale, européenne ou nationale.
A l’échelle internationale, la France s’est engagée, au travers de la signature de l’Accord de Paris à l’issue de la COP 21 et lors de la tenue de la COP 22 à Marrakech en 2016, à atteindre la neutralité carbone[1] à l’horizon 2050. Elle s’est aussi mobilisée avec la communauté internationale dans le cadre d’un amendement du protocole de Montréal pour plafonner, puis diminuer les émissions d’hydrofluorocarbures (HFC) au pouvoir de réchauffement global 10 000 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone.
Au niveau européen, le Paquet Energie Climat de 2007 prévoit pour 2020 l’atteinte du 3 fois 20 : réduction de 20% des émissions de GES par rapport à 1990, augmentation de la part des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique à 20%. Le nouveau Paquet Energie Climat, à échéance 2030, prévoit quant à lui une diminution de 40% des émissions par rapport à 1990, ainsi qu’une augmentation de la part des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique à 27%.
Enfin, à l’échelon national, la LTECV de 2015 entérine et dépasse ces différents objectifs en visant une diminution de 40% des GES en 2030 (Nouveau Paquet Energie Climat) et de 75% en 2050 (Facteur 4) par rapport à 1990, 23% d’énergies renouvelables en 2020 puis 32% en 2030 et une division par 2 en 2050 de la consommation énergétique finale par rapport à 2012.
Pas si simple finalement !
Pour atteindre ces objectifs, le pays s’est doté de divers outils : Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) et Stratégie de mobilité durable qui déclinent les objectifs par secteur et par période dans le but de fournir une feuille de route claire aux différents acteurs.
Quel est le bilan aujourd’hui ?
A court terme, le bilan est plutôt positif. Les objectifs européens du 3 fois 20 sont en passe d’être atteints, et même largement pour certains (24% de réduction des émissions de GES prévues à l’horizon 2020, part des énergies renouvelables à 21%, mais efficacité énergétique en augmentation de 17% contre les 20% envisagés dans les objectifs). Il en est de même pour les 3,3% de réduction annuelle prévus pour l’atteinte du Facteur 4, respectés sur les années récentes.
Mais, et c’est ici que cela se corse, toute la difficulté (soulevée par le rapport du CGEDD) réside dans la poursuite de ces réductions !
Les réductions annuelles pour l’atteinte du Facteur 4, bien que respectées pour l’instant, s’essoufflent et ne sont pas garanties pour les années à venir. En effet, le rapport pointe le fait que la trajectoire « business as usual » inclue dans les modèles actuels ne permet pas la réalisation du Facteur 4 en 2050. Il en est de même pour le Nouveau Paquet Energie Climat dont les projections à 2030, faisant état d’une réduction de 35% par rapport à 1990, n’atteignent pas les objectifs.
Ces résultats sont à mettre en lumière avec des coûts de dépollution qui augmentent au fur et à mesure que la pollution diminue (chaque unité de dépollution supplémentaire est plus dure à obtenir, et coûte donc plus cher à mettre en œuvre). Ainsi, le maintien du rythme de réduction nécessaire à l’atteinte des différents objectifs suppose des efforts bien plus importants dans les années à venir qu’ils ne l’ont été jusqu’à aujourd’hui.
Quels sont les principaux secteurs concernés par ces réductions ?
Sans surprise, les trois grands secteurs concernés sont l’agriculture, les transports et le bâtiment. Tous trois n’atteignent pas les évolutions espérées.
Le secteur des transports, où l’inertie est importante et les transformations lentes, reste le principal émetteur de GES, avec près de 30% des émissions totales[2]. La croissance du trafic ces dernières années, due à l’augmentation du nombre total de véhicules particuliers et de véhicules utilitaires légers, est expliquée par les effets rebonds, c’est-à-dire l’augmentation de la consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie (p. ex. l’amélioration de l’intensité énergétique d’un véhicule implique une moindre consommation de carburant, mais l’effet rebond associé est l’augmentation du nombre de kilomètres parcourus par les usagers). Couplées à la baisse du prix des carburants depuis 2014, les émissions globales ont ainsi vu leur niveau augmenter. Les pistes d’actions sont en revanche connues dans le secteur et en développement dans les territoires : efficacité énergétique, report modal[3], covoiturage, etc. A ce jour, seuls la réglementation européenne et le système de bonus-malus ont été à même de contenir la hausse des émissions. Le développement de la production de véhicules hybrides ou électriques est cependant pertinent sur le territoire et pourrait devenir un axe de développement majeur du fait d’une production d’électricité déjà particulièrement décarbonée[4].
Le bâtiment, secteur le plus consommateur d’énergie (45% de la consommation énergétique totale[5]) se place en deuxième position des émetteurs de GES en comptabilisant 26% des émissions. Pourtant, les solutions techniques existent dans le secteur ; la rénovation des bâtiments en constitue l’enjeu principal. Il accuse cependant un retard important par rapport aux ambitions affichées de 500 000 rénovations par an (seulement 288 000 rénovations effectuées pour le parc privé en 2014, et 105 000 pour le parc HLM). De plus, le secteur souffre de l’absence de données fiables sur l’effet des rénovations déjà effectuées et nécessite un accompagnement de proximité, le passage à l’acte posant encore problème.
Le secteur agricole présente quant à lui des possibilités de décarbonation plus limitées que les autres secteurs. En effet, la fourniture de nourriture pour une population en croissance, même couplée à des modifications majeures des systèmes agricoles et des habitudes alimentaires (agroécologie, flexitarisme[6], etc.), suppose une augmentation des volumes produits, et donc des émissions (liées aux changements d’affectation des terres, à l’élevage, etc.). L’atteinte d’un facteur 4 y semble impossible, les estimations les plus favorables ne visant qu’un facteur 2 à 2,5[7]. Des évolutions positives sont tout de même à souligner, le Ministère de l’Agriculture, l’Agroalimentaire et la Forêt (MAAF) promouvant l’agroécologie, les transformations du secteur de l’alimentation et la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Les recommandations du rapport du CGEDD
Elles suivent globalement celles du rapport de 2013, tout en rappelant le besoin d’accélérer le rythme de réduction des émissions engagé par la France.
A travers ses scénarios, la SNBC concentre principalement les efforts de réduction des émissions sur le secteur du bâtiment afin d’atteindre les différents objectifs (-54% en 2028 par rapport à 2013, contre -30% pour les transports, -23% pour l’industrie et -13% pour l’agriculture). Or, comme nous avons pu le voir, les réticences au passage à l’acte ainsi que la difficulté à quantifier avec certitude les effets des rénovations sur la réduction des GES posent problème.
Pour parvenir à des diminutions significatives des émissions de GES, le CGEDD préconise l’insertion de signaux clairs, comme des incitations économiques via un prix du carbone (en partie réalisée avec l’introduction en 2014 de la composante carbone dans la TICPE[8]), un développement technologique passant notamment par la R&D, des obligations réglementaires comme l’introduction d’impératifs de rénovation des bâtiments ou de motorisation des véhicules et l’étude des comportements et de l’acceptabilité des mesures. Il préconise aussi le développement de méthodologies et d’indicateurs prenant en compte l’intégralité du cycle de vie des produits, comme par exemple l’énergie grise, et la montée en puissance de l’économie circulaire.
En guise de conclusion, le rapport revient sur les développements favorables de ces dernières années : progrès de la technologie (réduction du coût des énergies renouvelables), signature de l’accord de Paris, Nouveau Paquet Energie Climat, LTECV, tout en rappelant l’urgence de la situation, les émissions de GES au niveau mondial continuant d’augmenter.
L’essentiel des efforts pour la France et l’Europe restent donc à faire, le rythme de réduction des émissions à prévoir sur la période 2030-2050 étant sans commune mesure avec le rythme actuel. Rien n’est encore perdu, mais une mobilisation de l’ensemble des acteurs, dans la durée, est nécessaire.
A travers ses nombreuses missions, Vertigo Lab observe, participe et élabore des stratégies visant à limiter et réduire les émissions et les concentrations de GES. Les études menées sur la réduction du gaspillage alimentaire, les plans climat-air-énergie territoriaux ou encore le carbone bleu sont autant de moyens permettant l’atteinte, pas à pas, des objectifs du Facteur 4 !
[1] La neutralité carbone suppose que les émissions de carbone restantes soient compensées par leur absorption par les puits de carbone, leur stockage, ou bien l’investissement dans des projets internationaux générateurs de crédits carbone
[2] Ce chiffre reste dans une fourchette basse, les émissions concernant les transports internationaux et aériens n’étant pas comptabilisées dans ces calculs.
[3] Le terme report modal désigne les modifications des parts des différents modes de transport, généralement au profit de ceux plus respectueux de l’environnement.
[4] Ne pas confondre « décarboné » et « renouvelable », le premier terme signifiant que la production n’émet pas de dioxyde de carbone, et le second que la source d’énergie se reconstitue plus rapidement qu’elle n’est consommée. La production d’électricité en France est ainsi décarbonée à près de 94% (chiffres de 2015), en grande partie grâce au nucléaire (76%). Mais celui-ci, utilisant les stocks d’uranium, ne peut pas être qualifié de renouvelable, et pose aussi d’autres problèmes (sécurité, enfouissement des déchets, etc.).
[5] Chiffres de 2014
[6] Le flexitarisme est le terme désignant les individus mangeant occasionnellement de la viande.
[7] Résultats obtenus après comparaison par l’Ademe de trois scénarios réalisés par Solagro, Oréade Brèche et ISL. http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/85265_synthese_agriculture_et_facteur_4.pdf
[8] Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques.