L’annonce de l’augmentation de la pression fiscale sur le prix à la pompe du diesel a réveillé les débats récurrents sur la fiscalité environnementale. Elle accentue également l’écart grandissant entre les territoires ruraux et périurbains en déclin d’un côté et les grandes métropoles de l’autre. Cette décision politique rend une nouvelle fois l’écologie clivante, cette dernière apparaissant comme bénéfique aux seules populations urbaines et punitive pour le reste de la France, dépendante à la voiture. Et cela, alors même que l’urgence environnementale et climatique n’a jamais été aussi forte et nécessite l’union de tous.
Pourtant, la transition écologique, loin d’être une contrainte, ne représenterait-elle une solution à nos modèles économiques extractifs à bout de souffle ? De nouveaux modèles économiques émergent et peuvent constituer de véritables opportunités pour les territoires en déclin. A condition de favoriser un développement territorial s’appuyant sur ses spécificités naturelles et sociales.
Les limites des théories économiques libérales
Pour les théories économiques classiques dominantes, l’environnement est une variable comme une autre et l’écologie est davantage perçue comme une contrainte que comme une source de création de richesses. En effet, d’après les principes de l’économie libérale, le libre fonctionnement des mécanismes des marchés assure une allocation efficace des ressources et les défaillances sont rares. Toutefois, lorsqu’elles existent, il est possible de les prendre en compte grâce à des outils comme la norme ou la fiscalité. L’environnement n’est alors envisagé que par le prisme des pollutions, ces dernières pouvant être régulées par des taxes environnementales (la taxe carbone par exemple). Or, cette intégration à la marge de l’environnement présente de nombreuses limites : vision tronquée de la réalité des relations socio-économiques, absence de prise en compte de certaines externalités ou encore absence de réflexion sur le caractère extractif de nos économies. De plus, les outils tels que la fiscalité environnementale répondent peu dans la pratique à l’internalisation des dommages liées à la pollution et au principe pollueur-payeur. La fiscalité sur les carburants est par exemple davantage un levier politique et budgétaire qu’un outil de préservation de l’environnement : les ressources fiscales liées à ces taxations sont versées au budget général avec un objectif de rendement sans respect du principe pollueur-payeur ; les plus gros pollueurs bénéficiant notamment d’exonérations fiscales (transport aérien par exemple).
Cette vision de l’environnement pose aussi question en termes d’acceptabilité sociale et explique en partie les mouvements de gronde contre les politiques environnementales (illustrées par le succès de Trump et sa politique climatosceptique aux Etats-Unis ou le mouvement des bonnets rouges en 2013). L’apparition de nouvelles taxes à vocation environnementale peut générer une baisse de pouvoir d’achat pour les ménages[1] et un manque à gagner pour l’économie en termes de PIB et d’emplois (d’où le terme souvent utilisé d’écologie punitive). Ce manque à gagner n’est cependant jamais mis en perspective avec les bénéfices des politiques environnementales (en termes de bien-être, de santé, d’activités économiques en lien avec les espaces naturels, etc.), bénéfices visibles sur le long terme alors que le taux de croissance est scruté au quotidien et la vision des acteurs centrée sur le court terme.
L’écologie comme source de richesse pour les territoires ruraux et en déclin ?
Pourtant, l’écologie peut être une source de créations de richesses et de nouveaux emplois non délocalisables, surtout pour les territoires en difficultés économiques. Le renouveau de Loos-en-Gohelle qui a mis la priorité sur le développement durable depuis de nombreuses années est l’un des exemples les plus marquants. Que ce soit la ville de Vitry-le-François qui trouve un nouveau souffle via la mise en place d’une nouvelle politique énergétique ou les territoires de la Drôme qui misent sur la biodiversité, les exemples de territoires redynamisés par des démarches de transition écologique sont de plus en plus nombreux. Les villes moyennes en déclin et les communes rurales possèdent en effet un certain nombre d’atouts relativement aux métropoles urbaines pour mettre en œuvre des projets de transition écologiques : disponibilité d’un foncier bon marché et présence de ressources locales disponibles notamment (ressource forestière, ressource agricole…).
Toutefois, la contribution des projets de transition écologique au développement territorial est encore peu étudiée et mal renseignée, comme le mettait en lumière en juin dernier le Comité économique et social européen[2]. Pourtant, les outils d’analyse et d’évaluation de ces projets existent, notamment en économie de l’environnement, économie territoriale ou encore économie de l’innovation. La théorie de la base[3], théorie clé de l’économie territoriale, offre ainsi des perspectives intéressantes. En effet, selon cette dernière, les projets concourent au développement économique s’ils permettent une entrée nette d’argent pour le territoire, c’est-à-dire si les fonds investis sur le territoire restent en grande partie sur ce dernier[4], et génèrent ainsi des effets d’entraînement sur les autres secteurs de l’économie. Les projets de transition écologique en s’appuyant sur des ressources locales peuvent générer des entrées nettes d’argent sur le territoire beaucoup plus importantes que les projets classiques, tout en améliorant la qualité de vie de la population. Cette approche quantitative doit être couplée avec une approche plus qualitative pour tenir compte des impacts sur le bien-être des individus. Une amélioration sur le bien-être de la population concourt aussi à l’attractivité du territoire et à son développement économique.
Ces retombées socioéconomiques concernent aussi bien la phase d’investissement que la phase d’exploitation du projet. La phase d’investissement génère en effet des retombées socioéconomiques (si les financements bénéficient aux entreprises locales), les entreprises du BTP[5] et leurs sous-traitants locaux sont généralement les principaux destinataires des dépenses d’investissement. Les emprunts (accroissement de la masse monétaire au profit du territoire), les subventions de l’Etat et de la région (les fonds seraient certainement alloués à un autre territoire si le projet n’existait pas) et l’autofinancement de l’entreprise qui réalise l’investissement (allocation des fonds de l’entreprise à destination du territoire) sont également des ressources importantes pour les acteurs locaux[6]. Les impacts socioéconomiques générés par la phase d’investissement ne sont cependant que transitoires et disparaissent une fois la phase d’investissement réalisée. C’est la phase d’exploitation qui explique en très grande partie les impacts socioéconomiques du projet sur le territoire.
De nouveaux modèles de développement économique : l’exemple de l’énergie
Dans le cas du secteur énergétique, l’électricité est actuellement produite de manière centralisée en France et la plupart des territoires l’importent, ce qui constitue une fuite de richesse pour le territoire. Le développement de sources d’énergie renouvelable (p.ex., énergie éolienne, énergie photovoltaïque ou énergie issue de la biomasse) sont un moyen pour ces territoires de produire localement de l’électricité et de redéployer des activités à l’échelon local. La production énergétique locale connaît en effet un fort ancrage territorial en mobilisant davantage la ressource locale. Par exemple, la production de chaleur issue de la biomasse utilise les ressources forestières locales au lieu d’importer des ressources fossiles (pétrole, gaz ou charbon). Par conséquent, ces projets contribuent à réduire les fuites d’importation du territoire en relocalisant la production énergétique sur ce territoire. Le Grand Dax mise par exemple sur la géothermie pour la production de chaleur en valorisant davantage le réseau des eaux thermales. La réduction de ces fuites d’importations concerne aussi bien les impacts directs de la production énergétique que les impacts indirects (en tenant compte de l’ensemble de la chaîne de valeur de la production énergétique). Étant donné que les projets énergétiques valorisent davantage les ressources locales[7], les effets d’entraînement générés sur les autres secteurs de l’économie locale sont plus importants. L’opposition classique et récurrente entre emploi et environnement n’est donc pas justifiée. Le scénario NégaWatt a ainsi démontré que la transition énergétique en France pourrait créer jusqu’à 820 000 emplois supplémentaires en 2030[8].
Les impacts économiques de la transition écologique ne se limitent pas à réduire les fuites de richesse du territoire. La transition écologique peut aussi permettre de développer des industries exportatrices, créatrice de nouvelles richesses pour le territoire. C’est le cas par exemple de la chimie verte et de la chimie blanche (chimie issue des ressources renouvelables, comme les biocarburants) qui commercialisent des produits fabriqués à partir des ressources agricoles disponibles localement (et non à partir des produits pétroliers importés). En France, un cluster de la chimie verte s’est développé dans la région Occitanie[9]. La plupart des entreprises du cluster sont implantées en zone rurale et leurs produits sont vendus sur les marchés (national et international).
Des gains en bien-être et en qualité de vie essentiels à prendre en compte
Les projets de transition écologique contribuent aussi à améliorer le cadre de vie des habitants : réduction de la pollution (air, déchets…), maintien d’un écosystème en bon état écologique, amélioration de la santé des habitants, etc. L’amélioration de ce cadre de vie concourt à une plus grande attractivité du territoire, à travers l’installation de nouveaux habitants (actifs ou retraités) sur le territoire, avec des impacts socioéconomiques conséquents pour l’économie. Ces nouveaux habitants à travers leurs dépenses contribuent aussi au développement de l’économie locale par l’essor de l’économie présentielle. Ces dépenses génèrent aussi des retombées socioéconomiques pour le territoire, avec des effets d’entraînement. Les économistes Davezies et Talandier (2014[10]) ont montré que le développement économique des territoires en France est expliqué à moitié par les bases résidentielles (à savoir la migration domicile – travail, les dépenses des retraités et les dépenses des touristes).
De nouvelles richesses sont donc générées par ces projets de transition et trop peu souvent mesurées. L’évaluation de ces bénéfices matériels et immatériels permettrait pourtant d’améliorer la conduite des politiques de développement économique en permettant de meilleurs arbitrages entre projets de développement « classiques » et projets de transition. La question des impacts des projets de transition écologique sur les inégalités sociales par rapport à des projets conventionnels peut aussi être abordée, notamment à partir de l’étude de la répartition de la richesse entre les différents acteurs. Les projets de transition écologique, généralement plus intensifs en main d’œuvre, constitueraient-ils une opportunité de mieux redistribuer la richesse, notamment vers les salariés ?
[1] Les ménages restent encore fortement dépendants des énergies fossiles fortement émettrices de gaz à effet de serre. C’est le cas des carburants pour le transport routier. Compte tenu de la distance domicile-trajet (en moyenne de 30 km en France) et du manque d’alternative au transport routier (surtout dans les régions rurales), une augmentation de la taxe carbone aura un impact davantage sur le pouvoir d’achat des ménages que sur leur consommation énergétique. En ce sens, la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) fait partie des taxes qui connaissent le rendement budgétaire le plus élevé.
[2] Cf. Site du CESE, « Les retombées économiques au niveau régional de la transition énergétique sont souvent négligées ».
[3] La théorie de la base est un modèle économique qui vise à comprendre les sources de développement d’un territoire en étudiant les flux de revenus entre les territoires.
[4]Une entrée nette d’argent est calculée par la différence entre l’entrée de nouveaux fonds pour le territoire (source de richesse) et la sortie de fonds pour le territoire (fuite de richesse).
[5] Si une grande entreprise de BTP crée une succursale sur le territoire, les activités générées par la succursale contribuent au PIB du territoire dans lequel elle est implantée.
[6] Toutefois, les financements (hors emprunt) provenant des communes, des communautés de communes et département ne génèrent pas de retombées socioéconomiques supplémentaires sur le territoire, car ces fonds auraient pu être alloués à un autre projet sur le même territoire (si nous considérons que la frontière du territoire correspond à celle du département).
[7] Ces projets contribuent donc à accroître l’indépendance énergétique de la France.
[8] L’économie circulaire est un autre exemple pertinent ici. Il s’agit en effet d’une filière à fort ancrage et impact local. La part des dépenses auprès des entreprises locales est plus fort dans cette filière et elle a davantage recours à la main-d’œuvre locale selon une étude du CGDD (« L’écologie industrielle et territoriale, un levier pour mobiliser les acteurs de terrain en faveur de la transition écologique », 2014, Economie et évaluation n°185.
[9] Pour une description du cluster, voir ici.
[10] Davezies, L., Talandier, M., 2014, L’émergence de système productivo-résidentiels, La documentation française.