La Sélection du Lab #12 – Les bilans de flux de matière : un outil de décision dans le cadre de la transition écologique et énergétique

Par mars 8, 2017Sélection

Chaque semaine, le Lab sélectionne un document ou projet jugé particulièrement intéressant et pertinent et le présente en quelques lignes. Cette semaine, le Lab s’est penché sur les conclusions du rapport de l’OCDE sur les outils d’analyse des flux de matières. L’analyse des flux de matières offre en effet de nombreuses opportunités pour appuyer la transition vers l’économie circulaire. 

Contexte du rapport

Le modèle économique prévalant depuis la révolution industrielle repose sur un schéma linéaire d’utilisation des ressources (Extraction de matières premières -> production -> consommation -> déchets) responsable d’un gaspillage des ressources naturelles et pouvant engendrer d’importantes externalités environnementales négatives (émissions de polluants, dépôt de matières usagées dans des décharges à ciel ouvert, etc.). Pourtant, un autre modèle existe qui rend possible la revalorisation des déchets (recyclage, réutilisation) et l’utilisation optimale des ressources : c’est l’économie circulaire.

La transition vers une économie circulaire ne peut pourtant pas se faire sans une connaissance fine des flux de matières en jeu. Les indicateurs statistiques actuels, axés principalement sur le PIB ou le nombre d’emplois, ne permettent pas d’intégrer de telles informations [1]. Ils doivent donc être aujourd’hui complétés par une analyse de flux de matières (AFM). Le rapport de l’OCDE vise précisément à proposer un cadre méthodologique pour l’élaboration et la mesure des indicateurs nécessaires à l’analyse de ces flux de matières.

Forces de la méthode de l’OCDE d’analyse des flux

Les ressources naturelles sont indispensables à l’économie. Elles fournissent des services essentiels à la réalisation des activités humaines grâce à l’apport des matières premières, d’énergie, de nourriture, de l’eau et des terres. Elles participent également au bien-être humain grâce aux services environnementaux (comme les services de régulation incluant par exemple la régulation du climat ou les services culturels grâce à l’usage récréatif des écosystèmes…).

Cependant, l’utilisation et la gestion des ressources naturelles ont un certain nombre de conséquences économiques, sociales et environnementales. Elles agissent notamment sur :

-Le taux de renouvellement des ressources renouvelables qui est fonction de leur niveau de stock

-La pression environnementale associée à l’extraction, l’utilisation, la transformation des matériaux, mais aussi de leur rejet dans la nature

-Le prix des matières premières et les échanges commerciaux

-La productivité et la compétitivité de l’économie

L’AFM vise à représenter schématiquement les flux de matières à l’intérieur d’une économie, mais également entre différentes économies. L’AFM repose sur le principe de conservation de la matière développé par Lavoisier au XVIIIème siècle « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme » la somme des ressources entrantes devant être égale à la somme des ressources sortantes. Le schéma ci-dessous tiré du rapport de l’OCDE présente graphiquement les flux de matières au sein d’une économie.

Le rapport a le mérite de clarifier les différents concepts et classer les outils associés à l’AFM selon les objectifs des décideurs politiques.

L’AFM présente plusieurs niveaux d’analyse selon les secteurs et les produits économiques considérés :

-à l’échelle de l’économie : l’AFM reprend les concepts macro-économiques pour présenter l’ensemble des flux de matières au sein d’une nation,

-l’analyse entrées-sorties : est axée sur une analyse des flux matières à l’échelle meso (à mi-chemin entre macro et micro) prenant en considération la complexité des échanges interindustriels entre les activités économiques,

-l’analyse de cycle de vie : vise à évaluer la quantité de matériaux utilisés et les rejets associés tout le long du cycle de vie d’un produit,

-à l’échelle de l’entreprise : l’AFM étudie les flux de matières au sein d’une entreprise mais aussi avec le reste du monde

mais aussi en fonction du degré d’intégration :

-l’analyse de système de matériaux : est axée sur l’étude de certains matériaux ou de certaines ressources naturelles,

-l’analyse de flux de substances : se concentre sur les flux de certaines substances connues pour engendrer des risques environnementaux et sanitaires,

-l’analyse de système local : est focalisée sur un niveau d’échelle géographique comme une ville ou un écosystème.

Le rapport expose les intérêts et les limites de ces différents outils en spécifiant les possibles synergies avec d’autres outils et en proposant les domaines d’applications. Plus intéressant encore, le rapport de l’OCDE relie les différents outils de l’AFM aux problématiques des différentes politiques mises en œuvre par les décideurs publics, à savoir : i) les politiques économiques, de commerce et de développement technologique, ii) les politiques de gestion des ressources naturelles ainsi que iii) les politiques environnementales (prévention et contrôle de la pollution, gestion des déchets).

Par exemple, pour la mise en place d’une politique environnementale visant à intégrer le contrôle et la prévention de la pollution, l’AFM peut permettre :

-de cartographier les flux de nutriments ou de contaminants dans une région, pays ou bassin versant responsables de la dégradation environnementale,

-d’estimer les pressions environnementales provenant de l’extraction et de la production des métaux en identifiant la part due à l’inefficacité du processus de production,

-d’évaluer les gains liés à l’adoption des technologies plus efficaces ou au développement du recyclage, ainsi que

-de surveiller et d’aider à la compréhension des flux de matériaux indirects et non utilisés avec leurs effets sur l’environnement.

Pour répondre à ces problématiques, les outils adéquats sont une AFM à l’échelle de l’économie avec une ventilation par matériaux, une analyse de flux de substance ou une analyse de système de matériaux en conjonction avec des comptes sur les déchets.

Ce rapport a contribué à l’émergence et à la popularité de cet outil. Il a notamment participé à l’élaboration d’une méthodologie de construction d’un compte des flux de matières par Eurostat [2]. D’ailleurs, le compte des flux de matières est intégré dans le Système de Comptabilité Economico-Environnementale de 2012 développé par l’ONU [3].

Prolongement : Les tentatives actuelles d’élaboration d’une méthodologie de construction d’un compte des flux de matières à l’échelle des territoires en France

Le rapport du CGDD de 2014 « Comptabilité des flux de matières dans les régions et les départements » [4] a souligné l’importance de développer une comptabilité des flux de matières à l’échelle des territoires (régions et départements) afin d’observer le métabolisme territorial et d’assurer la transition vers une économie circulaire. En effet, les territoires sont des lieux privilégiés pour la mise en œuvre d’une politique de transition écologique grâce à leurs compétences acquises lors des différentes lois de la décentralisation, principalement dans les domaines de l’aménagement du territoire, du développement économique et de la protection de l’environnement. Cependant, les décideurs politiques locaux n’ont que peu de connaissance sur les flux de matières transitant sur leur territoire. Pourtant, une connaissance de ces flux est nécessaire afin d’identifier les ressources locales généralement sous-exploitées, substituer des produits fossiles en faveur des ressources renouvelables, accroître la productivité des ressources ou encore développer davantage le recyclage. Ces mesures pourraient également permettre de réduire la dépendance du territoire vis-à-vis du reste du monde en diminuant les importations de matières.

Des recherches ont été lancées en France afin de construire une comptabilité des flux de matières à l’échelle des territoires. Nous pouvons citer les différents travaux menés par Sabine Barles, professeur en urbanisme et aménagement à l’université de Paris 1 pour les régions Ile-de-France, Bourgogne et Midi-Pyrénées, mais aussi pour la plupart des départements de ces régions [5]. Ces travaux ont démontré la capacité des bilans de matières territoriaux à incorporer spécificités des territoires.

Dans le cadre de ses travaux sur la transition écologique territoriale (pour l’agglomération Grand Dax par exemple), Vertigo Lab développe des modèles économico-environnementaux s’appuyant sur une analyse des flux de matières. Ces outils sont utiles à l’évaluation des impacts socio-économiques et sur les flux de matières de la mise en œuvre des différentes mesures visant à promouvoir la transition écologique.

[1] Voir par exemple l’article de Vertigo Lab « Biodiversité et Indicateurs »

[2] Eurostat (2013) Economy-wide Material Flow Accounts (EW-MFA): Compilation guide 2013. Document disponible ici : http://ec.europa.eu/eurostat/documents/1798247/6191533/2013-EW-MFA-Guide-10Sep2013.pdf

[3] Nations-Unis et autres (2014) Cadre central du Système de comptabilité économique et environnementale 2012. Document disponible ici : http://unstats.un.org/unsd/envaccounting/seeaRev/CF_trans/SEEA_CF_Final_fr.pdf

[4] Document disponible ici : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/2101/1161/comptabilite-flux-matieres-regions-departements-guide.html

[5] Barles Sabine (2014) L’écologie territoriale et les enjeux de la dématérialisation des sociétés : l’apport de l’analyse des flux de matières, Développement durable et territoires, Vol 5, pp. 2-18.