Le 3 mars 2015, l’Assemblée Nationale a voté en faveur de l’amendement de l’art. 18 de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, proposé par le député corse Paul Giacobbi pour réintroduire une redevance mouillage dans certaines aires marines protégées (AMP) françaises. Une semaine après le vote, neuf fédérations concernées par les loisirs nautiques ont exprimé leur mécontentement contre cette décision. Ces fédérations ont ainsi lancé un appel « pour que la mer reste libre ». Touchant 3 aires marines- le Parc Marin de Bonifacio et la Réserve Naturelle de Scandola et l’AMP de Cerbère-Banyuls, cet amendement est jugé discriminant et perçu comme une atteinte à la liberté d’accès aux biens communs que sont les ressources marines.
Taxe mouillage : aucun service en contrepartie ?
Les critiques qui ont plu sur cet amendement évoquent de graves incidences économiques sur l’industrie de la plaisance. La taxe ferait ainsi figure d’un nouvel impôt puisqu’aucun service n’est offert en contrepartie. Cette dernière remarque nous a fait réagir car les aires marines protégées, en travaillant au maintien du bon état des ressources marines, favorisent justement la fourniture de services environnementaux par les écosystèmes qu’elles protègent. Ces services ont d’ailleurs été évalués en 2010 à 26 milliards d’euros par an en Méditerranée (Plan Bleu, 2010). Par la limitation des mouillages forains (sur ancre) et le recours à des mouillages sur bouées, les AMPs s’attachent notamment à réduire les impacts des navires de plaisance sur les herbiers de posidonie. Or, ces herbiers accueillent plus de 20% de la biodiversité méditerranéenne et assurent de multiples services : refuge et source de nourriture pour les espèces d’intérêt pour la pêche, réduction de l’érosion côtière, capture de carbone, amélioration de la qualité des eaux de baignade, etc. Les services rendus par les herbiers de Posidonie sont ainsi estimés entre 284 et 514 euros par hectare et par an (Campagne et al., 2015).
Des aires marines protégées aux besoins de financement élevés
La gestion des AMP génère des coûts importants (changement des bouées de mouillage, accueil du public, surveillance de la zone, etc.). Dans son étude sur le « Financement durable des Aires Marines Protégées de Méditerranée » commanditée par l’association MedPAN, WWF et le CAR/ASP (PNUE), Vertigo Lab a estimé les besoins des AMPs de Méditerranée pour mettre en œuvre efficacement les mesures de gestion des AMP. Les résultats, qui seront publiés prochainement, font état d’un large écart de financement entre les revenus actuels des AMP et leurs besoins en financement pour gestion effective (environ 12% des besoins en financement sont couverts par les financements). La mise en place d’une redevance sur les mouillages pourrait donc, selon nous, contribuer à réduire cet écart de financement, à condition, bien entendu, d’être employé efficacement et de servir directement la gestion des AMP. Pour cela, le canal de financement devra rester essentiellement local et le montant de la taxe rester raisonnable pour ne pas être prohibitif (en deçà des barèmes de prix évoqués lors des débats).
Ce débat relance la douloureuse question de l’écofiscalité, et la funeste histoire de l’écotaxe. Les taxes de mouillage existent dans de nombreux pays : en Espagne, en Croatie, en Egypte, dans la plupart des îles des Antilles, etc. Les montants varient généralement entre 10 euros et 40 euros par jour pour des navires de moins de 10 mètres. C’est un mécanisme de financement durable des AMP très intéressant car il est local et permet aux AMP de développer leur visibilité en sensibilisant les plaisanciers à leur action.
Rémunération pour service environnemental ?
Il nous semble évident que l’accès à la mer restera libre et ce n’est certainement pas la mise en place d’une redevance servant à la gestion de ces aires marines protégées qui nous privera de son usage. Mais, par un accès facilité à une riche biodiversité marine d’une part, et le fait de bénéficier de mouillages entretenus et sécurisés en cas de mauvais temps d’autre part, il ne nous parait pas incongru pour les bénéficiaires de participer aux coûts de la gestion de ces espaces et, par là même, de rémunérer les nombreux services environnementaux dont ils bénéficient en se rendant dans ces aires protégées.